“Londres. Je marche de Shoreditch à Camden. Les reflets sur Regent’s canal évoquent sous mes yeux l’empreinte des sites industriels transformés en lofts et autres appartements. Je découvre par le prisme de l’eau une poésie de l’éphémère, habillée de briques, peuplée de cheminées industrielles et de péniches fleuries. Le temps s’est arrêté sur ces rives, si loin du rythme impatient du centre de Londres. Je m’initie aux réflexions urbaines. Premières photographies de cette série, invitation à approfondir ce regard nouveau.
La ville est un lieu où je cherche la nature. J’y ai toujours observé les arbres. Comme autant d’habitants qui me parlent du goût des hommes qui les plantent. De la place qu’ils accordent à « l’accessoire ». De leurs coutumes, de leur rigueur, de leurs humeurs. Bref de leurs liens à l’essentiel. Les parcs en friche de Berlin témoignent de mentalités et de personnalités bien différentes de celles des parcs privés fermés à clé dans le centre de Londres.
Je cherche aussi l’eau dans la ville. Elle m’apprend où rêvent les hommes. S’ils ont gardé leurs jardins secrets. Leurs bateaux ivres. Les photographies faites sur l’eau m’ont invité dans la poésie de lieux retirés de la turbulence des grands axes. Elles m’ont initié à un regard intime sur des quartiers populaires, nourrissant mon imaginaire d’une représentation onirique de ces villes. Imaginaire imprégné de l’impermanence inhérente aux reflets. Car les reflets sont capricieux. Ils demandent à être cueillis dans l’instant. Ils ne se montrent que sous la lumière du soleil. Dans le rares moments où les vents nous accordent une eau sans rides. En marchant, les visages qu’ils dessinent changent en permanence. Chaque image n’apparaît que le temps d’un regard. Offrant des vues éphémères et uniques, comme les étendues défilant aux fenêtres des trains. L’attention me laisse parfois être le témoin d’un portrait fugace, que la photographie me permet d’emporter. Paysages imaginaires révélateurs d’une poésie à glaner chaque jour. D’un monde invisible qui vit parmi nous dans notre indifférence quotidienne. Comme une projection d’une dimension utopique cachée derrière les certitudes affairées de la réalité urbaine.
Montréal. Terre ceinte du Saint-Laurent. Ile à cœur ouvert. Ici l'eau fertile a transformé les colons dont jadis la France ne voulait plus. Veille le Mont Royal sur ces hommes rieurs. Et les enfants du monde, venus étudier sur cette terre d'accueil. Le canal de Lachine accompagne mon regard. Entre deux brises il me révèle les rives en mouvement du quartier de la Petite-Bourgogne. Sur l’eau qui passe les reflets épars semblent dessiner une ville dont le cœur bat au rythme des saisons. Où la nature célèbre chaque respiration entre deux hivers enneigés. La ville n’a pas soumis la nature. C’est la nature qui tolère la ville. Une communion les unit dans une tranquillité légère que partagent les écureuils, mouffettes et autres ratons-laveurs.”
Texte extrait de “Conversation en apesanteur”, NBE éditions, 2016